Par Félix C. Ebolé Bola
La Cameroon Telecommunications (Camtel) a indiqué avoir réalisé, en 2023, un bénéfice net de plus de 11,2 milliards FCfa, une performance marquant «une étape historique» pour l’entreprise publique, pourtant minée de l‘intérieur par une grogne de personnels accusant leur hiérarchie de mal-gouvernance.
Le communiqué y relatif, parvenu samedi à la rédaction et sanctionnant l’assemblée générale ordinaire du 30 septembre, salue les efforts constants de la direction générale et des salariés, ayant permis pour la première fois depuis la création de la société, le versement de dividendes de quelque 4,6 milliards FCfa à l’Etat actionnaire.
Mais cet enthousiasme, qui fait également état d’une augmentation continue du chiffre d’affaires depuis 5 ans, passant de 108,8 à 207,4 milliards FCfa entre 2018 et 2023, pourrait ne pas être partagé par plusieurs salariés dont les récriminations ont fini par se retrouver dans la rue.
Dans un violent mémorandum daté du 13 décembre 2020 en effet, un collectif, dénommé «les travailleurs indignés», se charge de dénombrer les «actes de gabegie, erreurs de gestion, faits de tribalisme, gestes de provocation et défiance» du «timonier», Judith Yah Sunday, épouse de l’ex-Premier ministre Simon Achidi Achu, nommée en mi-décembre 2018.
Ainsi, lorsque la directrice générale n’est pas en villégiature à l’extérieur, aux frais de la princesse et flanquée d’obligés, elle s‘active à la signature de bons de commande, lettres commandes et marchés dont l’entreprise cherche, parfois vainement, l’opportunité et la pertinence.
Mme Achidi, apprend-on alors, a passé une prestation de 2 milliards FCfa au Bataillon d’intervention rapide ‘Bir), une unité d’élite de l’armée, en vue de la construction d’une clôture dans ses installations techniques de Bépanda, un quartier de la métropole économique, Douala, en dehors d’un autre milliard claqué dans un restaurant de la capitale, Yaoundé, «pour la célébration d’un événement chimérique».
Ainsi du marché d’acquisition d’un progiciel intégré de gestion, que des prestataires lui proposaient pour moins de 2 milliards FCfa et qu’elle est, on ne sait par quelle alchimie, prendre ailleurs à hauteur de 6,6 milliards.
Des pratiques de cet acabit fleurissent dans ce document de 8 pages, dont le principal bénéficiaire serait, aux dires des vengeurs masqués, la directrice générale en personne.
«La société Camtel a pour objet le déploiement des infrastructures de télécommunications et la fourniture des services y afférents. Depuis le 12 mars 2020, la société s’est dotée de trois conventions de concessions couvrant chacune le domaine du fixe, du mobile et du transport. Cette situation inédite, octroyant à l’entreprise un privilège incroyable autorisait des rêves merveilleux. Pourtant, la réalité est autre, techniquement la société va de plus en plus mal. Cherche-t-on seulement une solution après l’obtention du sésame tant convoité ?»
En 2018, relève le mémorandum, une commission d’enquête dénonçait le recrutement à la Camtel de l’épouse du président du conseil d’administration au mépris de toute notion éthique, portant ainsi le personnel à 3388 pour une masse salariale représentant 51% des recettes de l’entreprise.
Deux ans, plus loin Mme Achidi récidivait à travers le recrutement de 722 personnes avec, en bonne place, des cadres, «chèrement payés, dans des conditions violant toute procédure en vigueur à Camtel» et venant de la concurrence, de la communication, de la banque, des milieux universitaires et de l’administration publique.
Dans la maison, ces arrivants, surnommés «les fantastiques», ou encore «la sinistre clique des gardes chiourmes», ont entraîné la démission de responsables réputés de haut niveau, «désabusés par une gestion archaïque et patrimoniale».
«Ici encore le conseil d’administration, aveugle et aphone, laisse faire alors que, une fois de plus, il dispose des compétences les plus étendues dans les recrutements, les licenciements, les promotions, la définition et l’observance du statut du personnel.»
Le mémorandum des «travailleurs indignés» de Camtel, en termes de dénonciations, constitue une mine en matière de mal-gouvernance.
En écho, certes un peu éloigné de ce ton irrévérencieux d’employés frustrés, on retrouve les critiques à peine voilées, exprimées ces dernières semaines, en pleine crise d’accès aux réseaux, contre la société publique contre Camtel par la ministre en charge des Postes et Télécommunications (Minpostel), Minette Libom Li Likeng.
En effet, disposant du monopole absolu en matière de fourniture d’accès internet, l’entreprise publique, qui joue un rôle crucial dans la gestion de la fibre optique dans le pays, est invitée à court terme à respecter les cahiers de charges de l’accord concessionnel, assurer une surveillance physique à moyen terme.
A sa patronne et à son équipe managériale, la tutelle instruit de diversifier les voies de transmission vers la connectivité internationale, notamment en explorant des connexions terrestres à travers d’autres pays et des liaisons par satellite.