Par David Newman
“Concentrons-nous d’abord sur notre survie, la survie d’Israël. Le reste, on verra plus tard.” Pour Rebecca, 52 ans, New-Yorkaise installée depuis trente ans à Jérusalem, l’élection présidentielle américaine du 5 novembre est plus qu’un scrutin, c’est une question de sécurité pour son pays. Comme de nombreux Américains résidant en Israël, Rebecca sait que l’État hébreu et sa capacité à se défendre dépendront de qui siègera à la Maison Blanche. Alors, les droits des femmes ou des minorités devront attendre la fin de la guerre avec le Hamas.
Jusqu’au 7 octobre 2023, cette résidente de Jérusalem n’hésitait pourtant pas à feindre des “règles douloureuses” auprès de son employeur pour emmener des enfants palestiniens voir la mer avec la voiture de fonction. Mais depuis les attaques meurtrières du Hamas l’an dernier sur le sol israélien, tout a basculé pour elle. “Je suis dans une bataille pour ma survie. Pour le moment, la solution, c’est Donald Trump. Parfois, le seul moyen de survivre, c’est de se ranger derrière le plus radical. Est-ce que s’il devenait président, ce serait un désastre pour les femmes, pour les marginaux, pour les États-Unis et le monde ? Oui, mais au moins il est clairement pro-Israël.”
Comme Rebecca, d’autres électeurs américains critiques du milliardaire républicain, et vivant en Israël, ont déjà décidé de voter pour lui le 5 novembre. “Oui, je vote pour Monsieur Zinzin (Donald Trump, Ndlr) et ses copains chrétiens en croisade. Tant qu’ils peuvent nous protéger (en Israël, Ndlr), ils peuvent faire ce qu’ils veulent ailleurs”, lâche, exaspérée, Stéphanie, 48 ans, habitante de Netanya, dans le Nord. “Le 7-Octobre a tué mon empathie et je ne veux pas entendre parler de paix alors que nos otages sont sous terre.”
Inédit pour le vote juif
Si le conflit israélo-palestinien a longtemps occupé une place mineure dans les campagnes présidentielles américaines, les attaques du 7-Octobre, les plus meurtrières pour le peuple juif depuis la Seconde Guerre mondiale, ont changé la donne. La guerre au Proche-Orient est largement abordée dans les débats – elle a d’ailleurs été omniprésente sur les chaînes d’information lors des occupations de campus américains par des militants pro-palestiniens. “C’est absolument inédit dans l’histoire des États-Unis”, estime Sara Yael Hirschhorn, historienne américaine, professeure à l’université de Haïfa, en Israël.
Les deux candidats à la Maison Blanche sont régulièrement appelés à se positionner sur le sujet. Quand Donald Trump multiplie les appels du pied à la communauté juive américaine, se posant en unique rempart pour la survie de l’État hébreu, Kamala Harris n’hésite pas à mettre en avant la judéité de son mari et à réaffirmer “le soutien inconditionnel” du Parti démocrate à la sécurité d’Israël.
Les critiques de l’administration Biden-Harris du gouvernement de Benjamin Netanyahu ont cependant refroidi certains électeurs classés à gauche de l’échiquier politique américain. “De nombreux pacifistes, d’Israéliens très à gauche, qui donnaient de leur temps aux Palestiniens et travaillaient avec eux pour lever des fonds, ceux qui croyaient fort en une solution à deux États, en la paix… Mais tout ça a disparu”, regrette Omer, codirecteur d’une école mixte à Jaffa, au sud de Tel-Aviv. “En votant pour Donald Trump, ce sera l’heure d’exprimer leur peine ou leur haine.”
Le vote juif – aussi bien en Israël qu’aux États-Unis – constitue un sujet d’inquiétude pour le camp démocrate. “Il peut peser dans l’élection. Au niveau national, il est faible, de l’ordre de 2 %, mais il compte dans les États pivots”, note Denis Lacorne, directeur de recherche émérite au Centre de recherches internationales Céri-Sciences-Po. “Il représente 1,3 % des électeurs potentiels en Géorgie, 3,5 % en Pennsylvanie, 3 % dans l’Arizona. C’est significatif : il suffit de 0,5 % pour que tout bascule. En Arizona, Joe Biden l’a emporté par 0,3 % des voix en 2020”, rappelle-t-il.
Le plus faible depuis Reagan
Si Kamala Harris peut toujours compter sur un vote juif conséquent (71 % des électeurs juifs ont l’intention de voter pour elle dans les États-pivots), il devrait être le plus faible pour les démocrates depuis l’ère de Ronald Reagan, selon un sondage du Manhattan Institute.
À deux semaines du scrutin outre-Atlantique, la guerre de séduction s’intensifie donc. En pleine campagne électorale, Joe Biden a envoyé des troupes américaines en Israël pour déployer un système de défense antimissiles Thaad. “Cela ne peut que séduire ou au moins pérenniser le vote juif en faveur du Parti démocrate”, estime Denis Lacorne. Donald Trump promet, pour sa part, d’aller chercher les otages lui-même. “Vous avez en moi un grand protecteur. Vous n’avez pas de protecteur de l’autre côté”, a clamé le candidat républicain le 20 septembre.
Pour Denis Lecorne, plus qu’un clivage républicain-démocrate, c’est surtout la situation en Iran qui sera décisive pour le vote juif. “Une guerre régionale impliquant l’Iran favorisera Donald Trump car il est vu comme ayant plus d’expérience en politique étrangère que Kamala Harris. En cas d’attentisme avant les élections, le vote juif serait plus favorable à la candidate démocrate.”