Par Sandra Embollo
L’enfant terrible de la politique ivoirienne pourrait bientôt revenir à Abidjan. Parti en exil en 2019 après s’être brouillé avec son ancien allié, le président Alassane Ouattara, l’ancien chef rebelle Guillaume Soro multiplie les signaux en ce sens. Son retour rebattrait les cartes politiques à un an et demi de la prochaine présidentielle. C’est la révélation de deux appels téléphoniques passés fin mars entre Alassane Ouattara et son ancien premier ministre qui ont rendu l’arrivée à Abidjan de Guillaume Soro possible. Dans un bref communiqué publié le 4 avril sur les réseaux sociaux, ce dernier indiquait avoir téléphoné au chef de l’Etat pour « saluer le début de la décrispation politique en Côte d’Ivoire ». Ces échanges, selon lui, avaient été « marqués par la cordialité ».
« Ce n’est pas un poisson d’avril, a-t-il ensuite assuré dans un message sur le réseau social X. La prochaine fois [que l’on se parlera], ça sera en Côte d’Ivoire. L’élection présidentielle de 2025 n’est plus loin. Il faut s’activer. » Ces appels ont été confirmés au Monde par les autorités ivoiriennes. « Un chef d’État, qui est ami des deux hommes, a convaincu Guillaume Soro de passer un coup de fil à Alassane Ouattara pour le remercier d’avoir étendu la mesure de grâce présidentielle à certains de ses proches compagnons », détaille Moussa Touré, le responsable de la communication de Générations et peuples solidaires (Gps). Selon lui, Guillaume Soro aurait jugé que le temps était venu « d’amorcer un dégel ».
Un parcours cahoteux
« Le président a toujours dit que les enfants turbulents restaient ses enfants. Guillaume est le plus turbulent d’entre eux mais il est l’un des nôtres », estime un des cadres du gouvernement. Les relations entre les anciens alliés ont été pour le moins tumultueuses ces dernières années. Une brouille nourrie par les trop grandes ambitions de Guillaume Soro. L’ancien chef de la rébellion qui a permis à Alassane Ouattara de gagner le pouvoir face à Laurent Gbagbo revendiquait une place de dauphin pour les services rendus, et sa désignation au nom du parti au pouvoir pour la présidentielle de 2020, en vain. Suspecté d’être derrière des déstabilisations du pays, il est poussé à la démission en 2019. Il annonce envers et contre tout sa candidature à la présidentielle, mais prend le chemin de l’exil.
Depuis, le parcours de Guillaume Soro a été cahoteux, fait de pics envers Abidjan. Installé à Paris de 2019 à la fin de l’année 2020, il avait été jugé indésirable par l’Élysée à la suite d’un appel au coup d’État après la réélection d’Alassane Ouattara à un troisième mandat en novembre 2020. D’une prudence qui confine parfois à la paranoïa, adepte du brouillage de piste, l’ex-premier ministre avait ensuite été repéré successivement en Belgique, en Suisse, à Chypre et à Dubaï. De retour sur le continent africain depuis la fin de 2023, il s’affichait avec les putschistes de l’Alliance des États du Sahel (Aes), qui regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui l’hébergeaient. Des militaires devenus ennemis du pouvoir ivoirien.
Grâces présidentielles
Mais à la faveur de la victoire de la Côte d’Ivoire sur son sol à la Coupe d’Afrique des nations, le 11 février, l’atmosphère politique s’est détendue. Dans l’objectif annoncé de « renforcer la cohésion du pays », le président Ouattara a accordé le 22 février sa grâce à cinquante et un prisonniers, civils et militaires, tous condamnés pour des infractions commises lors des crises post-électorales ou pour « atteinte à la sûreté de l’État ». Plusieurs proches de Guillaume Soro en ont bénéficié, en particulier Jean-Baptiste Kouamé Kassé, l’ancien chef de sa garde rapprochée, et Affoussiata Bamba-Lamine, ancien porte-parole de la rébellion, qui avait suivi l’opposant en exil. Mais surtout Souleymane Kamaraté Koné dit « Soul to Soul », l’ex-chef de protocole de Guillaume Soro, condamné à vingt ans de prison en 2021 pour « complot » et « tentative d’atteinte à la sûreté de l’État ».
Devenu l’émissaire de Guillaume Soro depuis sa sortie de prison le 23 février, « Soul to Soul » a fait le tour ces dernières semaines des principaux partis d’opposition, à la tête d’une délégation de Gps, le parti de Guillaume Soro dont il est le vice-président. Le 26 mars, il a été reçu par l’ancien président Laurent Gbagbo, qui l’a chargé de transmettre ses salutations à son mentor : « Si tu as des nouvelles de Guillaume [Soro], a-t-il déclaré, dis-lui que je le salue. Le 4 avril, « Soul to Soul » a également rendu visite à l’ancienne première dame Simone Gbagbo, désormais à la tête de sa propre formation politique, le Mouvement des générations capables (Mgc), et le lendemain au président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Tidjane Thiam. Le porte-parole de Gps, Loukiman Kamara, a déclaré à la sortie de l’audience que M. Thiam avait promis qu’il « se battra auprès du président de la République pour que [leur] président retourne en Côte d’Ivoire parmi les siens ».
Nouvelle donne pour la présidentielle ?
Le 6 avril, le Gps a annoncé le « retour progressif de [ses] cadres en exil ». A commencer par le chef de cabinet de Guillaume Soro, Toh Marc Ouattara, qui a atterri le jour même à l’aéroport d’Abidjan. Sur les images de son arrivée, que Le Monde s’est procuré, Toh Marc Ouattara est escorté par Mohamed Bamba, le chargé de mission du ministre de la Défense Téné Birahima Ouattara. Selon Gps, M. Bamba avait été dépêché à l’aéroport par le gouvernement pour accueillir le chef de cabinet de Guillaume Soro et « lui faciliter les procédures douanières et policières ». A un an et demi de la présidentielle, le retour de Guillaume Soro changerait la donne politique en vue de la présidentielle de 2025. Certains observateurs n’hésitent pas à envisager une alliance entre le RHDP et le GPS à l’horizon 2025.
« L’un a besoin de l’autre dans la perspective de l’élection présidentielle de 2025. Face à la dynamique créée par le PDCI-RDA avec l’arrivée à la tête du parti de Tidjane Thiam et les velléités de candidature de Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara a besoin de Guillaume Soro pour consolider sa base électorale dans le septentrion ivoirien. Quant à Guillaume Soro, il a besoin de la clémence d’Alassane Ouattara pour régler la question de son statut pénal. »,
Estime le politologue Geoffroy-Julien Kouao.
Tout l’enjeu serait les conditions de cette alliance, alors qu’Alassane Ouattara n’a pas encore annoncé s’il briguerait un quatrième mandat et que Guillaume Soro n’a pas son destin en main. En 2021, l’ancien rebelle a en effet été condamné à la prison à perpétuité en Côte d’Ivoire pour « tentative d’atteinte à la sûreté de l’État ». S’il rentre, il devra compter sur la clémence présidentielle pour ne pas aller en prison.
Avec Le Monde