Par Julie Peh
Marafa Hamidou Yaya ne mâche pas ses mots. Sur les six condamnés dans son dossier, il est le seul encore derrière les barreaux.
« Mon maintien en détention et la torture que je subis, en particulier à travers le refus de soins, ne peuvent avoir qu’un caractère politique « , assène-t-il.
Une situation telle que l’Onu exige sa libération immédiate depuis 2016 et que les États-Unis le considèrent comme un prisonnier politique. Un acharnement judiciaire qui en dit long sur la nature du régime. Malgré ce qu’il endure, Marafa Hamidou Yaya assume son choix d’avoir fait face à la justice camerounaise.
« Mes compatriotes n’auraient pas compris que je fuie », explique-t-il, même si ce choix lui a coûté le droit d’assister son épouse dans ses derniers instants. Un sacrifice qu’il a fait par « conviction sincère » et « sens du devoir », lui qui dit rester « honoré des importantes responsabilités » confiées par Paul Biya, car elles lui ont « permis d’œuvrer au bien du pays ».
« Paul Biya a trahi notre Constitution en instrumentalisant la justice »
Mais cette loyauté n’est pas une allégeance aveugle. Pour Marafa Hamidou Yaya, si trahison il y a, « ce n’est pas vis-à-vis de moi, mais envers notre Constitution ». Il pointe « l’instrumentalisation de la justice au vu et au su de tous », en violation du rôle de garant de son indépendance dévolu au président. Un constat amer, résumé par cette citation de Pascal : « Ne pouvant fortifier la justice, le président a justifié la force. » Un réquisitoire implacable.
« Il faut redonner la parole au peuple par une Commission Vérité et Réconciliation »
Face à ce « marasme général », Marafa Hamidou Yaya en appelle à une solution radicale : « redonner la parole au peuple » à travers « une Commission Vérité, Réconciliation et Refondation ». Un impératif pour « exposer au grand jour les crimes et scandales d’État systémiques » et sortir le Cameroun de l’ornière. Car pour lui, ni les législatives ni la présidentielle à venir ne suffiront à « remettre le pays sur la bonne voie ». Seule une catharsis collective peut éviter le spectre du chaos.
« Le populisme est une voie stérile, on ne bâtit pas l’avenir sur le rejet de l’autre »
Marafa Hamidou Yaya se montre aussi lucide sur la montée de « l’afro-populisme » sur le continent, qui conduit « au rejet massif de tout ce qui a une coloration occidentale, y compris le modèle démocratique ». Une tentation qu’il comprend au vu du « désarroi » et du « désespoir » des Africains, mais qu’il juge « stérile« . « On ne bâtit pas l’avenir sur le rejet de l’autre« , prévient-il. Un message à contre-courant du discours ambiant, qui en appelle à la raison.
« Ma mission : empêcher que le Cameroun ne s’autodétruise irréversiblement »
Quant à son avenir, Marafa Hamidou Yaya le soumet « à la Providence », même s’il se dit prêt à « aider encore [son] pays « , fort de sa « volonté « , de ses « idées » et de son « expérience « . Mais au-delà de son sort personnel, c’est l’avenir de la nation qui le préoccupe. « Ma génération semble avoir échoué dans son rêve de construire un Cameroun nouveau « , admet-il. D’où cette « mission plus impérieuse » qui s’impose désormais : « empêcher que le Cameroun ne s’autodétruise irréversiblement ». Un défi existentiel. Par sa lucidité et son courage, Marafa Hamidou Yaya bouscule les consciences. Son cri d’alarme est un appel au sursaut citoyen pour sauver le Cameroun du naufrage