Avec Jean Pierre Bekolo
D’un côté, un vieux dirigeant africain qui détient entre ses mains la vie de millions de personnes ; de l’autre, un jeune Africain fuyant son pays pour chercher une nouvelle vie en France. Ce qui est frappant, c’est l’ironie qui lie ces deux histoires : tandis que Paul Biya vient régulièrement en France et en Suisse, des pays auxquels il verse des sommes faramineuses pour prolonger sa vie, des individus comme Souleymane fuient des pays africains, dirigés par des hommes comme Paul Biya, pour chercher la vie en France. Et comme par hasard, dans le film, c’est encore un Camerounais qui va escroquer Souleymane.
La France et la Suisse acceptent volontiers l’argent Africain de Paul Biya pour lui offrir la vie éternelle et de fait le pouvoir éternel, tout en fermant leurs frontières aux réfugiés économiques comme Souleymane. Ces derniers sont désormais obligés d’inventer des récits pour se faire passer pour des réfugiés politiques. Dans le film, Souleymane se fait prendre parce que c’est toujours la même histoire; l’histoire d’horribles dictateurs africains comme Paul Biya.
Aujourd’hui, l’histoire de Souleymane touche le public français, qui manifeste de la compassion pour ces immigrés africains. Simultanément, au Cameroun, le souhait de la mort de Paul Biya par de nombreuses personnes suscite également une vague de compassion. S’agit-il de la meme compassion? Ne sommes-nous pas face à deux compassions, deux mesures ? Cette émotion au cœur de ce qui fait notre humanité, nous pousse à une question essentielle : pouvons-nous compatir pour Souleymane de la même manière que pour Paul Biya ?
En tant que adepte du Healing Cinema – un cinéma qui prend soin de l’humanité, un Cinéma de la Compassion – je perçois la compassion comme un art qui va au-delà de la simple mise en scène de la souffrance.
Elle ouvre la voie à une identification profonde, à une empathie authentique pour les personnages et leurs histoires. Plus avec Paul Biya qu’avec Souleymane, on est dans le “Cinema of Care”, qui dépasse la représentation de la douleur humaine et devient un espace de soin collectif, où le film agit comme un baume pour l’âme des spectateurs. C’est ce que le public français semble vivre avec Souleymane une œuvre qui pourrait devenir un outil de guérison collective.
Quant à Paul Biya, le souhait de sa disparition ne serait-il pas un espoir d’alléger les souffrances des Camerounais et donc de les guérir aussi? Souleymane offre aux Français cette capacité de guérir ; quels moyens les Camerounais ont-ils, face à un Paul Biya bien réel, pour réajuster leur rapport au monde et à eux-mêmes ?
Les histoires plus que les films deviennent ainsi des espaces pour aborder et soigner non seulement les maux sociaux (violence, injustice, exclusion), mais aussi les fractures psychologiques et émotionnelles des individus.
Ce cinéma ne serait pas seulement “thérapeutique” au sens médical ou psychologique, mais représenterait une thérapie de la perception – une manière de guérir nos façons de voir le monde et de nous y engager.
Si l’histoire de Souleymane est un exemple de cinéma qui soigne et transforme le public français, qu’en est-il de l’histoire de la mort de Paul Biya pour les Camerounais ? Est-ce aussi une forme de thérapie collective ? Mais avant de parler de guérison, ne faudrait-il pas d’abord identifier et diagnostiquer la maladie ?